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Auscultation d'un rire (6'53)


 

Propos : construire un parcours temporel en "éclairant" plus ou moins finement ou largement des parties d'une image qu'on ne voit entièrement que brièvement ; explorer un espace environnant dans le noir complet au moyen des quelques faisceaux étroits de lampes torches.

Histoire : cette pièce peut rappeler par son matériaux exclusivement vocal d'apparence chantée (d'apparence seulement !) les Cinq mini mandalas de 2010.

Origine sonore : un enregistrement réalisé à la volée lors d'une baignade dans un petit lac, vraissemblablement autour de 1986, avec un magnétophone à cassettes et peut-être un microphone stéréo Sony.

Déroulement :
- choix du son parmi plusieurs prétendants d'origine diverse possédant un potentiel de décomposition harmonique. La sélection s'est faite après avoir appliqué cette décomposition sur chacun d'eux et testé rapidement ce que donnerait son "auscultation". Ce rire a été choisi pour la richesse de sa décomposition mélodique associée à des composantes bruiteuses (l'éclaboussure du début de l'enregistrement) et aussi, bien-sûr, pour son caractère...
- décomposition en 64 composantes / canaux avec nmfDemix
- plusieurs essais / versions d'auscultations et de composition (voir le détail plus bas)

Compatibilités : si cette pièce est plutôt économe de ses "effets d'espace", la fragilité de ses nuances rend à mon avis son adaptation délicate. Cela pourrait fonctionner sur certains dômes.

 

Opérations

La toute première opération a consisté à décomposer le son de 20" en 64 composantes avec l'outil nmfDemix (Non-negative Matrix Factorization), une toute petite et vieille application en ligne de commande qui opère une sorte de démixage de sources basé sur leur contenu harmonique, ou ici qui creuse à l'intérieur d'une source unique mais assez complexe pour y trouver de multiples nœuds de hauteur qui puissent être ensuite disposés dns l'espace d'une manière indépendante.
Le choix d'imposer à l'application de générer 63 composantes (elle en génère toujours une de plus où elle place le "résidu") n'était pas du tout raisonnable, mais mis à par l'éclaboussure initiale qui a généré évidemment beaucoup de composantes bruiteuses, la majorité d'entre elles ont représenté des tranches toniques suffisamment précises et nombreuses pour que l'auscultation en soit riche et intéressante.

Sur l'image ci-dessus on a en haut la représentation traditionnelle temps/amplitude du fichier mono et en dessous le sonogramme 64 canaux du fichier issu de la décomposition. La répartition du contenu sur les canaux obéit certainement à une logique de calcul du logiciel mais elle n'a rien de perceptible...
L'opération suivante a donc consisté à les ordonner et à trouver une correspondance entre ces composantes et les points de l'espace selon une affectation des canaux qui devait rester fixe : elle représente le corps spatial du son dont l'auscultation devait faire apparaître telle ou telle zone (voir le plugin SpacedRoute dans l'illustration plus bas).

 

Sur cette vue de la décomposition à l'amplitude très dilatée on voit bien que l'énergie est distribuée d'une manière très disparate, ce qui est logique. On peut en effet assimiler le procédé au principe de la mélodie divisée entre plusieurs chanteurs : chacun ne produit qu'une seule note, toujours la même, et risque donc de passer la plupart de son temps à ne pas chanter...
Ceci pose ici un problème pour effectuer ensuite l'auscultation car celle-ci doit pouvoir s'opérer d'une manière continue, et tomber sur du silence n'était pas le but recherché.
J'ai donc opéré un deuxième traitement sur ce fichier 64 canaux en vue d'obtenir des quasi continuités sur chacune des 64 couches : la mélodie divisée allait devenir une harmonie que je pourrai ainsi ausculter "note à note", l'idée étant ensuite de pouvoir combiner les deux afin de profiter à la fois de la stabilité des quasi tenues et des accidents des éclats du rire.
C'est le logiciel de traitement FFT Mammut qui a été utilisé, dans sa section MultiplyPhase. Plusieurs versions ont été réalisées mais une seule a été sélectionnée, il n'y a donc pas de changement de nature ou de couleur sur l'ensemble de la pièce.

 


vue du projet Reaper et des outils pour la réalisation de la première version des séquences d'auscultation

Les deux versions de la décomposition, directe et "mammutisée" sont bouclées et placées sur deux pistes 64 canaux dont le contenu mixé est envoyé dans le plugin qui permet d'opérer l'auscultation. Le gain de la version continue est très atténué alors que celui de la version originale avec éclats est augmenté (mais avec limiteur !).

Le premier plugin que j'avais envisagé d'utiliser avant de me lancer dans la réalisation de cette pièce, et que j'avais déjà employé pour des actions similaires, était le FocusMass 64 dont le principe correspond exactement à ça : laisser passer une zone d'espace centrée sur un point, cette zone sphérique pouvant être réduite à un seul point ou s'étendre à tout le volume spatial.
À l'aide d'un contrôleur XY (tablette) et de deux pédales (une pour l'élévation et une pour le diamètre du focus) les gestes restent simples et parfaitement contrôlables pour naviguer dans l'espace des points, qui représentent à la fois les composantes dissociées du son et leur position haut-parlante.

La plupart des séquences de la première version de la pièce a été réalisée ainsi (enregistrement 64 canaux de la sortie du plugin directement sur la piste), mais quelques-unes ont été également jouées avec le SpatLine 64 qui, au lieu de naviguer librement dans l'espace tridimensionnel du rire décomposé permet de suivre point par point ses composantes dans l'ordre que j'avais choisi pour leur affectation mélodique et spatiale. Ce n'est peut-être pas très clair mais ceci permettait d'obtenir facilement des figures en lignes et en arpèges très virtuoses.

 


montage des séquences-jeu 


projet final de la première version

Une première version de la pièce a ainsi été finalisée durant l'été 2021 (captures d'écran 1 et 2), mais la vivacité d'écriture mélodico-spatiale à laquelle j'étais parvenu ne me satisfaisait pas. Elle s'était complètement éloignée de l'idée initiale de l'auscultation, qui devait permettre de prendre le temps d'entendre, le temps d'attendre et de situer ce qu'elle laissait apparaître.

Une autre piste que j'avais aussi explorée, plutôt que celle du cinétisme apporté par le FocusMass, consistait à jouer plus simplement et directement avec l'amplitude de chacun des canaux. On peut penser comme procédé à ce que permettrait une console de mixage équipée de 64 potentiomètres, chacun contrôlant l'intensité d'une des composantes routée vers un des points de l'espace.
J'avais le plugin pour le faire, le SpatTouch, et quelques contrôleurs qui permettaient de jouer de ces amplitudes d'une manière assez libre et efficace, notamment le Sensel Morph, mais c'est l'achat du Striso Board au printemps 2022 qui a décidé de l'avenir de cette pièce...
C'est un petit contrôleur compatible MPE mais qui est utilisé ici uniquement pour ses capteurs de pression, qui sont extrêmement sensibles et avec un retour tactile très sensitif. Il ne dispose "que" de 61 touches, ce qui m'a forcé à sacrifier quelques composantes, et leur organisation spatiale a nécessité un peu de réflexion pour lui trouver une correspondance avec la disposition des points haut-parlants, mais dès les premiers effleurements, comme on dit, "j'ai su que c'était lui". Il était possible avec uniquement la pression du doigt de faire apparaître le son très graduellement à partir du silence et de le pousser jusqu'au fortissimo, et littéralement d'ausculter sa surface avec aussi bien une extrême délicatesse qu'une grande légèreté. Il est aussi possible d'écraser toute une zone avec le poing ou la paume, et même d'utiliser un ustensile, par exemple un verre, pour modeler la masse du son autrement.

voir la vidéo qui montre (et fait entendre) presque tout ;-)

 
vue du projet Reaper pour la réalisation des séquences d'auscultation de la deuxième version

 

Le projet Reaper final est plus simple que celui de la première version et montre bien que tout ou presque a été fait lors du jeu des séquences. Il y a peu de superpositions d'objets, c'est à dire de polyphonie ajoutée à celle qui était déjà présente dans le jeu initial. On voit aussi l'importance du re-sculptage dynamique (les enveloppes de volume en rouge).

 

Le resserrement et la dynamisation sur le montage final 67 canaux : le travail sur l'amplitude est ici aussi encore assez important, notamment dans les passages un peu vifs où il donne au phrasé son énergie définitive.